La photographie argentique
L’argentique est très « à la mode » ces derniers temps. Pourquoi ce retour en arrière ?
Plus qu’une volonté d’obtenir un certain look (qui pourrait être assimilé à cet effet de mode), ce choix est dicté par une réflexion globale. De mon point de vue, l’émotion nait de la sollicitation de nos différents sens. Pensez-y ! La plupart des émotions fortes que nous vivons engagent tous les sens. J’ai, par exemple, toujours été fasciné par la charge émotionnelle qu’une vidéo est capable de transmettre. Elle allie la vue et l’ouïe et peut suggérer le toucher. C’est, à mon sens, ce qui fait en partie sa force.
Pour moi, la photo, en devenant numérique, a perdu cette charge émotionnelle pour devenir une transcription de faits. Choisir l’argentique me permet de faire revenir le toucher dans la course par les impressions sur papier, par les nuances que permet la pellicule, par le rapport différent à l’image qui n’est plus uniquement virtuel. Je veux que mes images soient physiquement présentes. Ce retour en arrière est vital à mon sens, pour moi et pour les images.
De quoi se compose ton sac photo ? As tu fait les vide grenier pour trouver ton matériel ? :)
Mon sac photo devient de plus en plus léger. En réalité, je suis en train de tout revendre pour ne plus travailler qu’avec un appareil, une optique et un type de films (concrètement, un Contax 645 avec son 80mm f/2 et de la Kodak Portra). Je pense de plus en plus qu’accumuler est une erreur. C’est une chose qui arrive quand on commence. On comble le manque d’assurance probablement par un sac plus rempli.
Ma volonté, aujourd’hui est de tendre vers une forme de minimalisme. Je n’ai pas fait de vide grenier. Ebay est une très bonne ressource pour trouver du matériel argentique.
Est ce que ce choix ne te revient pas beaucoup plus cher en frais de fonctionnement ?
C’est une question que je me suis posée. Il est clair que l’argentique coute très cher. C’est un choix sans compromis mais, à mon sens, il ouvre la voie vers quelque chose de radicalement différent et de passionnant. Les frais sont énormes mais ils se justifient sur le fond. La vraie question est « comment rendre ce choix élitiste viable ? ». Aujourd’hui, je pense que c’est possible. C’était un pari risqué mais il existe des clients qui aiment le papier, des clients qui veulent du grain, des clients qui aiment attendre 1 mois avant de recevoir leurs images.
En réalité, c’est, aujourd’hui, la pellicule qui me fait rencontrer des gens qui me ressemblent, des gens qui pensent que l’essentiel n’est pas forcément dans l’efficacité et dans la quantité.
[bctt tweet= »Aujourd’hui, la #pellicule qui me fait rencontrer des gens qui me ressemblent… »]
Un mariage complet en argentique.
Quels sont les atouts de l’argentique ? en tant que photographe ? Pour les clients ?
A mes yeux, ils sont nombreux. En tant que photographe, déjà, cela simplifie radicalement le process. Je n’ai qu’a me soucier de shooter, les images sont toujours bien exposées. Honnêtement, être photographe argentique aujourd’hui est bien plus simple que d’être photographe numérique. Les craintes par rapport à la pellicules sont, pour la plupart, injustifiées. La proportion de « déchets » est de 1/4. Ca change de mes 8/10 quand je travaille en numérique. Tout cela sans transiger sur la qualité globale et avec des images souvent plus variées. La vérité c’est que la pellicule incite à shooter autrement et tolère mieux les erreurs d’expo. Pour le photographe, donc, les atouts sont majeurs.
Pour les clients, la différence est notable également. il m’est arrivé de shooter des mariages en numérique + argentique et de remettre les images en deux dossiers. En réalité, ce n’est même pas une question de préférence. Il sont tombé amoureux des images argentiques (pour reprendre leurs mots) alors que les images numériques restaient en surface. Je ne parle ici que de mon travail personnel. Je ne juge pas le numérique en tant que tel. Certains photographes numériques font un travail que je jalouse. Je sais juste que la pellicule me convient mieux et me permet de sortir des images d’une autre nature.
C’est difficile de mettre 2 images côte à côte et de tirer des conclusions. En réalité, cela se sent très fort sur un reportage complet. Les images sont simplement plus vivantes à mon sens. Cet exemple m’avait marqué cependant. Il a été fait avec les mêmes paramètres de prise de vue avec mon 5d et mon Contax.
(1 : argentique – 2 : numérique : Même si cet exemple n’est pas d’un intérêt majeur, il est révélateur dans le sens où, si on regarde les images à taille réelle, l’image argentique est moins précise, moins « chirurgicale » dans les détails mais la sensation est radicalement différente. C’est dû à la pellicule et sa manière organique de transcrire les choses mais aussi au moyen format. Je trouve mes images numériques assez plates bien souvent.)
La pellicule réagit aussi très différemment aux reflets et aux textures. Sur la surface de l’eau, les ciels, la rosée ou les végétaux c’est magnifique. Quelques images d’Hawaii pour l’illustrer :
Tu as suivi dernièrement 3 workshops, pourquoi ? quelles étaient tes attentes ?
J’ai suivi un workshop en Italie avec notamment Sean Flanigan et Thierry Joubert (pour ne citer qu’eux) ainsi que celui de José Villa et de Jonathan Canlas. Mes attentes sont toujours les mêmes en workshop. Comprendre ce qui mène un photographe à réaliser les images qu’il réalise.
Je suis quelqu’un de très analytique. J’essaie de comprendre le cheminement qui sous-tend les choix et les résultats. Je suis même obsédé par cette compréhension. C’est aussi de cette manière que j’écoute de la musique ou que je regarde un tableau, au passage. Ce qui m’intéressait dans le travail de José Villa c’était la capacité à repenser la photo de mariage de manière minimaliste et radicale, presque froide. Chez Jonathan Canlas, je voulais comprendre comment aller vers du naturel chaleureux, comment obtenir des résultats aussi puissants en termes de spontanéité. Des choses radicalement opposées en somme.
Qu’est ce qu’ils t’ont apporté ?
Un tas de choses. Je suis de plus en plus convaincu qu’investir dans l’humain est le meilleur investissement possible. Au delà des aspects techniques, je pense avoir évolué à un niveau personnel par les rencontres que ces workshops ont permises. C’est central à mon sens.
Comptes tu basculer totalement en argentique ?
L’argentique n’est, à mes yeux, pas une fin en soi. Si je sais que le numérique se prêtera mieux à ce que je veux obtenir, je choisirai toujours le numérique. Il se trouve que, bien souvent, ce que je veux faire nécessite de l’argentique.
Des conditions trop sombres ou trop incandescentes, par exemple, imposeront toujours à mes yeux l’usage du numérique. C’est toujours une décision que je prends en fonction du résultat que je souhaite obtenir. 2015 est donc l’année où je deviens totalement argentique. Je garderai par contre toujours un boitier numérique dans mon sac pour ne pas être dépendant des limites de l’argentique.
Quel conseil donnerais-tu à un photographe qui souhaite tester l’argentique ?
Qu’il fonce ! Il y a un marché et toutes les craintes relatives à l’argentique sont infondées aujourd’hui. C’est un voyage qui en vaut la peine.
Website – Facebook – Interview
5 Comments
Article très intéressant et images pleine de poésie. La qualité qui prime sur la quantité, l’attente pour découvrir le résultat, la valeur inestimable du papier ; beaucoup de belles valeurs que je partage. Merci Rachel pour cette mise en lumière, et bravo Michael pour ce superbe travail.
Quel plaisir à chaque fois de te lire Michael ! :)
En premier lieu bravo pour tes images, qui sont une belle illustration que l’argentique n’est pas définitivement mort.
J’admire la composition toujours très soignée et la chromie bien réglée.
Enfin bravo pour cette interview qui remet en cause le tout numérique et qui s’attache plus à la force des photos plutôt qu’à la technique employée.
Michael,
Tes photos sont à couper le souffle. Pas seulement parce que c’est de L’argentique mais parce que c’est tout toi et ce que tu ressens et que tu aimes qui contribues à ton art. Ce que j’entends quand je lis ton article, c’est qu’il faut s’écouter, et que quand on est en harmonie avec ce que l’on a en soi déjà, ça ne peut que se transcrire dans les images que l’on prend.
Bravo et merci car au delà de la démarche Argentique, vous êtes la preuve qu’en visant haut on ne peux que prendre le risque de monter. Certes il faut savoir se donner les moyens et avoir du talent. Je suis expert Photoshop, connu pour mes photos de mode et parfois certains essais où la retouche numérique a pris une importance énorme dans mes photos. Et pourtant je fais le pas aujourd’hui de l’argentique (non pas à 100% certes) car le rendu est magique. Et même avec mes talents de retoucheurs, je n’arrive pas à retrouver ce rendu. Comme vous, j’envisage et travailler et d’acquérir un niveau me permettant de shooter en argentique des mariages complets comme des séances édito mode…
Bref, merci de nous inspirer comme vous le faites