Audrey est une talentueuse photographe, et une super maman d’enfant différent. Au-delà de son « combat » quotidien avec les troubles de sa fille, elle a choisi d’aller plus loin et de changer le regard du monde sur le handicap. Un énorme challenge qu’elle mène avec dynamisme, générosité et convictions.
Il y a un an, tu nous parlais du projet « photographier l’autisme« , ou en est-il aujourd’hui ?
Suite à ton article, j’ai été contactée par Olivia Cattan, journaliste et présidente de l’association Sos Autisme France. Elle souhaitait réaliser un projet qui traiterait de différents aspects de société que vivent les personnes autistes. J’ai donc fait plusieurs séries de photos, avec des adultes et des enfants autistes, sur des sujets comme le travail, l’amour et l’école… J’ai rencontré des personnes formidables.
Ce projet nous a amené à faire plusieurs expositions (Fondation Good Planète, grilles de l’hôtel de ville de Paris) et nous a emmené à l’Assemblée Nationale.
Aujourd’hui, l’expo voyage toujours et le livre « Autiste, et alors? », qui découle de cette expo, est sorti en librairie. Et nous avons d’autres projets en cours !
Tu évoquais avec crainte le diagnostic du syndrome de Rett pour ta fille, qui a été confirmé peu après. A l’occasion du mois de sensibilisation à ce syndrome, acceptes-tu de nous en parler ?
Bien sur ! J’aurais préféré que ma fille ne soit « que » autiste mais son autisme fait finalement partie du syndrome de Rett. C’est une maladie génétique rare qui atteint le système nerveux central et qui touche principalement les filles.
Eléanore ne parle pas, elle marche mais pas aussi bien que nous, elle est épileptique, elle est principalement nourrie par gastrostomie (une sonde relié à l’estomac), elle a de gros troubles du sommeil, des problèmes digestifs et des troubles autistiques. Un beau tableau n’est ce pas ? Mais Eléanore a une joie de vivre incroyable ! Elle est très souriante, dynamique, progresse du mieux qu’elle peut et elle a un pouvoir assez impressionnant pour faire tomber les gens amoureux d’elle. Elle adore l’eau, les chevaux et être avec d’autres enfants. Elle est d’un courage exemplaire.
C’est ma petite chose fragile, je sais que tout peut basculer du jour au lendemain mais on se bat ensemble.
Le syndrome de Rett n’est pas neurodégénératif mais on sait qu’il y a des périodes où les filles peuvent régresser. Elles peuvent perdre l’usage de leurs mains, la marche, l’épilepsie peut devenir plus sévère et de graves scolioses peuvent apparaitre. Nous faisons tout notre possible pour retarder ces périodes et faire en sorte qu’Eléanore soit la plus heureuse possible.
Est-ce que la vie d’entrepreneur est un avantage pour gérer ce quotidien difficile ? Comment trouves-tu l’équilibre ?
C’est un avantage dans le sens où je peux arranger mon emploi du temps comme je le souhaite pour pouvoir emmener Eléanore à ses rendez vous médicaux ou pouvoir me garder du temps pour me reposer un matin si sa nuit a été mauvaise, par exemple.
Par contre, l’impact physique et psychologique étant important sur moi, je ne peux pas développer mon activité comme je le voudrais et cela a des conséquences financières dont je n’aurais pas à me soucier si j’étais salariée. Alors je trouve mon équilibre comme je peux, avec des auxiliaires de vie qui me relaient quotidiennement quand j’ai une période avec plus de travail que d’autres, mes proches et mon mari qui me soutiennent chaque jour pour que je puisse m’épanouir professionnellement et personnellement.
Est ce que la photo t’aide à accepter tout ça ? Comment arrives-tu à voir les petits détails de bonheur malgré tout ce qu’il y a autour ?
La photo fait bien plus que m’aider, elle me sauve !
J’ai pris conscience, dans un premier temps, que je me servais de la photographie pour observer Eléanore, la comprendre et la voir autrement que par son handicap. Dans un second temps, la photographie me permet d’exprimer mes émotions que je n’arrivais pas à extérioriser, à comprendre et à expliquer.
Grâce à la photo, j’ai pu me « connecter » à ma fille pour apprendre à la connaitre et la comprendre, me connaitre et me comprendre moi-même et être l’interprète de nos émotions à toutes les deux.
Quand on vit avec le handicap de son enfant, qu’on est brisé à vie, qu’on bascule dans une autre réalité que celle de vos amis, on doit forcément se raccrocher à quelque chose pour ne pas sombrer ou tout plaquer pour partir seule vivre au fond d’une caverne. Dans mon cas, j’ai commencé à m’émerveiller de tout. Des fleurs qui poussent, des oiseaux qui chantent, chaque nouveauté de mes enfants était merveilleuse… Ressentir des émotions positives me faisait un bien fou ! Je continue de m’émerveiller de tout aujourd’hui.
Et puis je pioche dans le bonheur de mes photographiés. Je partage avec eux leur bonheur à leur mariage, je ris devant les mignoneries de leur bébé, je retrouve mon âme d’enfant avec les leurs… Bien sur, il y a des jours où je ne pense qu’à ma caverne à l’autre bout du monde mais il suffit d’un mariage, d’une séance, d’un mot ou que mon fils m’explique comment il a failli adopter une chenille, pour que je retrouve mon chemin.
As-tu de nouveaux projets à venir ?
Des projets j’en ai plein ! Depuis un an, j’ai beaucoup développé le fait de photographier le handicap et cela m’a permis de faire de nouvelles collaborations. Je souhaite continuer dans cette voie en faisant des projets avec des associations, des collectivités mais aussi développer les séances familles concernées par le handicap. Changer le regard, leur donner envie de faire une séance photo, leur montrer que même avec un quotidien difficile on peut y voir
de très belles choses…
Je vais continuer les expositions. Celle de ma fille sur le reportage que j’ai fais d’elle à l’hôpital pour la pose de sa gastrostomie va bientôt quitter le CHU de Caen pour aller à l’hôpital Necker à Paris, en Décembre.
J’ai également le projet de faire un livre sur mon cheminement personnel et professionnel avec le quotidien d’Eléanore et j’envisage de donner des conférences et des formations (même si je déteste ce mot) sur le sujet « Photographie et handicap ».
As-tu des conseils justement, sur comment photographier des sujets difficiles comme le handicap ?
Quand vous allez photographier une personne avec handicap, il y a tout un aspect psychologique à prendre en compte. Ca concerne cette personne mais également ses parents et frères et soeurs (dans le cas d’une séance famille, par exemple). Comme je l’ai dit plus haut, le handicap nous fait vivre dans une autre réalité que les autres. Des tas de choses gravitent autour du handicap. Le mot « handicap » en lui même est très lourd de sens et pas valorisant.
Alors dans un premier temps, il faut écouter les proches et la personne avec handicap, les observer et essayer de se mettre à leur place. Je déconseille d’occulter le handicap. Il fait partie intégrante de leur vie. Ne pas le photographier pourrait etre interprété comme si c’était moche ou à ne pas montrer. Il faut au contraire le mettre en valeur. Mais il faut aussi voir au delà du handicap. Une personne ne se définit pas par son handicap. Mettez en avant les valeurs de cette personne, de sa famille, des liens qui les unissent, portez un regard bienveillant sur leur quotidien et photographiez leur humanité tout simplement. Servez vous de votre appareil photo comme médiateur pour surmonter votre peur de l’inconnu. Vous verrez, vous vivrez des choses merveilleuses.
Si certains photographes souhaitent développer la photographie du handicap, je vous invite à me contacter pour en discuter.